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Un agriculteur écolo fait plier à lui seul le cimentier Lafarge

Parmi les lauréats du prix Goldman 2017 (une récompense aux défenseurs de l’environnement), on compte Uroš Macerl : cet éleveur slovène de 48 ans a lutté pendant de nombreuses années contre la pollution des industries du charbon et du ciment dans sa vallée natale de Trbovlje. Son combat, récompensé en 2015 par la fermeture d’une usine […]

Parmi les lauréats du prix Goldman 2017 (une récompense aux défenseurs de l’environnement), on compte Uroš Macerl : cet éleveur slovène de 48 ans a lutté pendant de nombreuses années contre la pollution des industries du charbon et du ciment dans sa vallée natale de Trbovlje. Son combat, récompensé en 2015 par la fermeture d’une usine Lafarge, attire l’attention sur l’empreinte écologique considérable de la filière du béton.

Une vallée asphyxiée

Leurs panaches de fumée, leurs cheminées interminables et le morne gris de leurs bâtiments jurent au milieu de la verdoyante vallée de Trbovlje, en plein centre de la Slovénie : une centrale électrique au charbon, une fabrique de verre et une usine chimique sont nichées depuis plusieurs années dans la région, offrant d’une main un emploi aux habitants des alentours, reprenant de l’autre leur santé.

Uroš Macerl n’a jamais travaillé pour les industriels locaux : éleveur de brebis et de moutons, il s’est toujours accommodé de l’air pollué de la vallée ; jusqu’à ce qu’en 2002, le cimentier français Lafarge reprenne l’activité de la cimenterie locale, présente depuis plus d’un siècle. Les ennuis n’ont pas tardé : à cause d’une production accrue et de méthodes plus polluantes (combustion de coke de pétrole ou même de déchets pour produire le ciment), la qualité de l’air s’est dégradée. Selon les propres mesures de l’éleveur, la concentration dans l’air de benzène, un produit cancérigène, a bondi de 250% en un an. Le risque relevé par Uroš Macerl a été confirmé par l’OCDE en 2012 : l’organisation relève alors un « taux de cancer plus élevé » que la moyenne chez les habitants de cette région particulièrement polluée.

« On a augmenté la production pour augmenter les bénéfices, le ciment se vendait comme de l’or à l’époque »

Malgré les protestations de l’éleveur, soutenu par le collectif environnemental Eco-Krog, l’usine fonctionne à plein régime sans être inquiétée : « on a augmenté la production pour augmenter les bénéfices, le ciment se vendait comme de l’or à l’époque », a rapporté Uroš Macerl à l’AFP. Pourtant, les griefs contre le cimentier s’accumulent : en plus de mettre en danger les habitants – humains et animaux : les fausses couches se multiplient dans l’élevage de Uroš – l’usine dépasse les volumes de production autorisés. Ne voulant pas mettre en danger une activité qui « fournit de l’emploi, sponsorise les clubs de sport, investit dans les hôpitaux et les infrastructures », les autorités locales restent sourdes aux actions des militants.

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Détermination béton

Il faudra attendre un écart du cimentier pour que justice soit faite : en 2009, l’usine tente de brûler des plastiques et des pneus sur une parcelle de terrain appartenant à Uroš Macerl. Celui-ci y voit un levier possible en justice, et, au terme d’années de procédures qui attirent l’attention de l’Union européenne, la Commission somme le gouvernement slovène d’examiner les conditions de fonctionnement de l’usine, qui « mettent potentiellement en danger la santé des citoyens ». En 2015, la sanction tombe : Lafarge doit cesser la production de ciment à Trbovlje.

En 2016, c’est au tour de la centrale à charbon de fermer ses portes. Depuis, les avis divergent : si Uroš Macerl est ravi de voir les hirondelles nicher dans sa grange – chose qu’il n’avait relevée auparavant – d’autres habitants renvoient un autre son de cloche. Interrogée par l’AFP, Mojca, commerçante de son Etat, indique que la fermeture « n’a rien changé aux conditions » dans la vallée. De plus, s’ils respirent à présent un air probablement plus pur, les habitants de la vallée font face à un nouveau défi : trouver un nouvel emploi, maintenant que les gros employeurs industriels de la région la quittent.

Les coulisses du ciment

Les habitants de Trbovlje ne sont pas les seuls à souffrir de l’industrie du béton. Ce matériau, omniprésent dans les constructions humaines (présent dans 75% d’entre elles), représente la moitié des productions matérielles humaines. Son processus de production, polluant, devient catastrophique à cette échelle : les 6 milliards de m3 coulés chaque année dans le monde sont responsables d’environ 10% des émissions de CO2 mondiales. Cette production de gaz à effet de serre intervient lors de la conception du clinker (qui est l’ingrédient de base du béton), qui nécessite la combustion à très forte température d’un mélange d’argile et de calcaire à fort impact carbone.

Il faut ajouter à cela une consommation démesurée de sable, la matière première la plus utilisée au monde, aux conséquences néfastes : « quand vous en prélevez de grandes quantités (…) vous affectez un écosystème extrêmement complexe et dynamique, dans lequel le sable se dépose en fonction des courants, des marées et des vents », explique le géologue Michael Welland.

Malheureusement, les émissions de CO2 dues à la production de béton sont mal régulées en Europe : il existe depuis 2005 un dispositif de contrôle des émissions sous forme de taxe carbone pour les industries. Le principe est le suivant : chaque industrie se voit attribuer des quotas d’émissions de carbone par l’Union européenne ; si elle dépasse ses quotas, elle doit acheter des « droits de pollution » à d’autres industries qui, elles, émettent moins que leur quota, selon un principe de « marché du carbone ». Ce système, efficace sur le papier, est aujourd’hui en crise, car avec la récession économique, les productions ont baissé, entraînant une baisse des émissions et donc un surplus de « droits de pollution », dont le prix est passé de 30€ la tonne d’équivalent CO2 à 5€.

Beaucoup d’acteurs ont donc cessé leurs investissements dans des technologies moins polluantes, car il était plus rentable de s’acquitter des « droits de pollution », disponibles en grande quantité. Pire encore, certains industriels comme Lafarge en ont profité pour revendre leurs quotas attribués gratuitement et « engranger des profits exceptionnels grâce aux trop nombreux permis de polluer qu’elle reçoit », dénonce l’ONG Carbon Market Watch, estimant les profits réalisés à 5 milliards d’euros. Le dispositif est actuellement en réforme, avec un projet de loi actuellement en négociation dans les institutions européennes.

Une régulation plus punitive pourrait engager les cimentiers à redoubler d’efforts dans la recherche d’alternatives, qui semblent nombreuses : en effet, des chercheurs suisses ont réussi à diminuer de 30% les émissions de CO2 du matériau en utilisant des calcaires plus efficaces. Les alternatives pures et simples au béton ne manquent pas non plus, comme notamment des matériaux plus traditionnels, comme le torchis (béton de terre) et le bois, ou plus innovants comme la paille.

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Antoine Puig

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