A l’occasion de la publication d’un ouvrage recensant les travaux d’Aaron Swartz, génie, activiste, hacker et figure de l’Internet libre, retour sur les avancées permises par sa vision d’un monde plus ouvert, et l’importance d’en prendre la suite.
Héros de l’Internet
C’est un jeune homme américain, brun, surdoué, hacker et activiste, héros de la défense des libertés numériques pour les uns, criminel pour les autres… Elliot Alderson de la série Mr. Robot ? Et non, ce personnage existe bel et bien : il s’agit d’Aaron Swartz, à la mémoire duquel un ouvrage, publié aux éditions B42, vient de sortir en France. Pourtant, la ressemblance avec le héros de la série à succès est telle qu’on peut s’interroger sur une éventuelle inspiration.
En effet, jusqu’à son suicide tragique à New York en 2013, à l’âge de 26 ans, Aaron Swartz avait tout du héros 2.0. En plus d’une profusion de travaux sur des sujets aussi divers que l’économie et la littérature, il s’est illustré par sa participation à la création du site d’échanges Reddit, au lancement de Creative Commons (association à l’origine des licences libres éponymes), ou enfin au développement du format de flux RSS.
« Aaron a appris plus de choses que la plupart d’entre nous n’en apprendrons jamais. Et il a élaboré plus de choses que la plupart d’entre nous n’en élaborerons jamais. (…) Peu d’entre nous aurons jamais une influence ne serait-ce que vaguement comparable à celle qu’a eue ce garçon », le juriste Lawrence Lessig ne tarit pas d’éloges à l’égard de son ami et collaborateur. Figure de proue de l’Internet libre et collaboratif, Aaron Swartz a notamment joué un rôle crucial dans le retrait du projet de loi Stop Online Piracy Act. En créant la plateforme en ligne Demand Progress, qui permettait à des millions de gens de protester directement auprès du Congrès américain, il a incarné l’idée d’une démocratie 2.0 et protégé la neutralité du Net.
« Aaron a appris plus de choses que la plupart d’entre nous n’en apprendrons jamais. Et il a élaboré plus de choses que la plupart d’entre nous n’en élaborerons jamais. (…) Peu d’entre nous aurons jamais une influence ne serait-ce que vaguement comparable à celle qu’a eue ce garçon »

« Celui qui pourrait changer le monde »
Son refus de se plier aux règles qu’il juge absurdes fera basculer sa vie en octobre 2010. Scandalisé que les publications scientifiques stockées sur la base de données Jstor (une des principales bibliothèques de publications du monde) soient inaccessibles au grand public, il s’infiltre dans le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et télécharge des milliers d’articles en se faisant passer pour un étudiant – eux ont un accès garanti par leur statut.
Arrêté puis inculpé dans le cadre du Computer Fraud and Abuse Act, il risque jusqu’à 35 ans de prison et un million de dollars d’amende. « Ils veulent faire de moi un exemple », dit-il à ses proches. L’acharnement de la justice est, en effet, inhabituel : alors même que Jstor abandonne les poursuites, le bureau du procureur de New York les maintient. Alors même qu’il rend les documents, et que l’enquête prouve qu’il n’a pas « hacké » le système, mais simplement profité de l’accès donné aux étudiants du MIT, son procès est fixé pour février 2013. Il sera retrouvé pendu dans son appartement de Brooklyn un mois avant l’ouverture de celui-ci.
A la suite de son décès, les hommages et réactions se multiplient : tandis que des figures de l’Internet libre, comme Anonymous ou le site WikiLeaks, saluent sa mémoire, sa famille dénonce l’acharnement de la justice et l’indifférence du MIT, pourtant traditionnel défenseur de la liberté numérique : « la mort d’Aaron (…) est le résultat d’un système judiciaire criminel où l’intimidation et les poursuites excessives abondent ». On croit en effet nager en pleine fiction à la Mr. Robot ; selon des utilisateurs de Reddit, la pique ironique d’un des personnages de la série énonçant « qu’il est difficile de poursuivre en justice au nom du CFAA », est un hommage détourné.

Les principes d’un Internet libre
Dans ses écrits et son action militante, Aaron Swartz défendait un Internet libre, place publique d’échanges et d’expression pour une société plus juste et transparente. En son nom, il est crucial de continuer à appeler de nos vœux un tel rêve, qu’on peut décrire en trois principes. Le premier, fondamental, est celui de la neutralité du Net. Ce principe refuse toute discrimination dans l’accès à Internet, « à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise ». Internet est un droit, est les fournisseurs d’accès (FAI) comme les gouvernements doivent permettre aux utilisateurs un accès sans restriction (au contraire de ce qu’on observe par exemple en Chine), sans surveiller les données (comme le faisait, selon les révélations de Snowden, la NSA), sans modifier les sites visités et sans ralentir l’accès à certains sites et protocoles (comme le font actuellement certains FAI français qui interdisent l’accès aux newsgroups).
Deuxième principe : celui de la démocratie 2.0. Internet est un endroit où chaque utilisateur est égal, et où chacun peut s’exprimer. « Vous avez du pouvoir », scande Aaron Swartz à la foule dans la bande-annonce d’un documentaire consacré à sa vie, sorti en 2014. Avec son outil de protestation directe au Congrès, Swartz participait d’un mouvement en faveur d’une démocratie directe rendue possible par Internet. Aujourd’hui des outils comme le vote en ligne ou la plateforme Parlement & Citoyens perpétuent cette volonté.
Enfin, la clé de voûte d’un Internet libre est le partage. Swartz, co-auteur d’un Manifeste pour une guérilla en faveur du libre accès, est mort pour cette conviction, pour avoir voulu diffuser au monde une richesse intellectuelle qui, pour lui, appartenait au patrimoine universel de l’humanité. « Il nous faut nous emparer du savoir, où qu’il soit, effectuer des copies et les partager avec le reste du monde », écrivait-il. Aujourd’hui, de nombreux acteurs défendent le modèle du partage universel, à l’instar de la Quadrature du Net (une association de défense des droits et des libertés des citoyens sur Internet fondée en 2008), qui inscrit dans ses propositions « la légitimité du partage d’œuvres culturelles entre individus sans but de profit ». Aux sceptiques qui mettent en doute la rentabilité d’un tel modèle, ils proposent la mise en place d’une « contribution créative » mutualisée entre tous les usagers de l’Internet, qui permettra de financer la création et l’expression.

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