L’école d’ingénieurs Centrale Nantes ouvre la première option en France pour se spécialiser dans l’ingénierie des systèmes low-tech. Les low-tech ? Une alternative à la high-tech, un concept émergent qui propose de repenser les technologies que nous utilisons pour les rendre plus utiles, accessibles, et durables. Les technologies ne sont pas neutres, elles reflètent une vision de la société. Six étudiants ingénieurs l’ont bien compris. Le projet de l’année : équiper un catamaran avec des solutions low-tech, pour limiter son impact sur l’environnement. Présentation d’une formation à contre-sens des enseignements traditionnels.
A la rentrée 2022, Jean-Marc Benguigui, professeur responsable de l’option, a ouvert la classe dont il a créé le programme pédagogique. Ce dernier explique pour La Relève et la Peste comment est né le projet.
“ Roland Jourdain, le navigateur, arrive en 2020 pour rencontrer le directeur de Centrale, Jean-Baptiste Avrillier. Il lui demande : Comment peut-on enseigner la low-tech aux étudiants ? ”
Cette discussion est un déclic, appuyé par une forte demande de la part des étudiants.
“J’ai vu passer pleins d’étudiants qui sont en quête de sens, beaucoup sont prêts à lâcher les études car ils ne voient pas l’intérêt d’être diplômé. Surtout depuis 2018 et le discours de Clément Choisne. Il y a cette envie de changer, de faire autre chose, alors les low-tech se proposent comme une nouvelle manière de faire”, raconte Jean-Marc Benguigui.
La formation est imaginée en lien avec le catamaran de Roland Jourdain. Le marin est connu pour ses exploits dans la course au large, à travers le fond de dotation Explore qu’il a créé. Il cherche à réduire son impact sur l’environnement dans sa pratique de la voile. Celui-ci met à disposition son bateau pour y expérimenter des systèmes low-tech.
“ Au lieu de faire une option classique, où les étudiants assistent à 400 – 500 heures de cours et une petite centaine d’heures de projets, c’est l’inverse : on propose un projet de 600 heures. On y introduit des cours techniques en lien direct avec le projet et des cours plus généraux autour des low-tech”, explique le professeur.
Cinq systèmes sont à développer sur le navire : le premier autour de l’autonomie énergétique, le suivant vise la gestion de systèmes informatiques et numériques pour la communication, un autre sur la valorisation de déchets organiques, le quatrième traite de l’eau chaude sanitaire et le dernier consiste à imaginer un système de culture en hydroponie.
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L’objectif de ces systèmes s’inscrit dans différents scénarios d’utilisation du catamaran. Le premier serait une course au large. Un autre scénario correspondrait à une expédition scientifique de deux semaines en autonomie. Enfin, le dernier consisterait en une prestation durant un mini-séjour de sensibilisation à la protection de l’environnement.
La pratique au coeur de l’enseignement
“ Le côté pratique c’est le point faible dans les écoles d’ingénieurs”, relève par ailleurs Jean-Marc Benguigui. “À mon époque nous apprenions à usiner et à se servir de machines. Aujourd’hui les élèves ne savent plus fabriquer. C’est un problème en France, on a tellement externalisé notre production à l’étranger qu’on perd ce savoir. Cependant dans l’option, grâce à des partenariats avec des associations comme APALA et le Low-Tech Lab on essaie d’apporter cet aspect pratique. En ce moment, les étudiants conçoivent et dimensionnent les systèmes. Et je souhaiterais qu’ils puissent prototyper et le faire de leur mains”
Les étudiants devront devenir des ingénieurs capables de construire des technologies pour un monde résilient et sobre. Et ceci en plus des cours techniques qui leur enseignent entre autres comment réaliser une analyse de cycle de vie ou un bilan carbone, de quelle manière appliquer les principes de l’économie circulaire, ou encore comment réaliser un produit éco-conçu.
Ils étudient également des matières qui ne touchent pas directement aux compétences d’un ingénieur. Par exemple, un cours pour leur permettre d’appliquer un management responsable, un autre pour créer des conditions favorables à l’intelligence collective, ou encore pour apprendre à se forger une pensée éthique.
Libérer d’autres écoles
Le monde universitaire voit ses lignes bouger, d’autres formations aussi sont précurseuses dans les low-tech tel que l’Institut Polytechnique de Grenoble. Ce dernier propose une initiation depuis 2021, co-construite avec le low-tech lab de Grenoble, où sont dispensées 20 heures de cours sur les low-tech.
“ Je ne suis pas seul finalement à vouloir faire émerger ces formations, seulement j’ai eu la chance d’avoir un directeur qui m’a donné carte blanche. Je pense qu’il y a d’autres écoles qui sont comme moi mais qui n’ont pas eu cette opportunité.” L’enseignant poursuit : “ Jean-Baptiste Avrillier est arrivé il y a deux ans, il veut vraiment axer le changement sur le développement durable. ”
Nul doute que l’option trouve des jeunes pour remplir ses places mais qu’en est-il des débouchés, notamment dans le monde de l’entreprise ?
“Lorsque l’on a ouvert l’option, c’est dingue l’engouement qu’il y a eu de la part des journalistes. Et ce qui est surtout intéressant c’est l’intérêt que les entreprises ont porté à la formation”, se souvient Jean-Marc Benguigui.
En effet, des PME de la région déjà investies dans le secteur de la transition écologique et de l’ESS comme Goodwill Management ou encore CPM Industries se montrent intéressées par les profils de l’option low-tech. C’est également le cas de grandes entreprises comme le groupe Orange ou le Crédit Agricole.
Lorsque l’on questionne les élèves sur le sujet, ils sont confiants pour l’avenir, comme l’explique Auriane Raffenot, étudiante suivant l’option en troisième année :
“La low-tech, c’est un secteur qui est nouveau, il y a beaucoup d’associations, mais il manque de structures pour exercer dans ce milieu. Cependant je relève deux choses. Premièrement je suis convaincue que ça va beaucoup se développer dans les années à venir. Nous aussi on va pouvoir être acteur de ce développement. Et deuxièmement, même si on fait un autre métier, la démarche low-tech est assez large et peut s’appliquer à plein de secteurs. Redéfinir les besoins, se demander pourquoi on réalise cela, remettre l’usager au centre, lui faire confiance. Tous ces concepts qui viennent de la low-tech sont plus profonds que l’aspect simplement technique des objets. Et cela peut avoir toute sa place dans un métier.”
Ce qui est certain c’est que la low-tech n’a pas fini de s’inviter dans la société, comme en témoigne le récent rapport de l’ADEME, ses différents appels à projet et ceux du CNRS.
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Crédit photo couv – Centrale Nantes