Ingénieure agronome, vigneronne et engagée, Marie-Océane Fekairi est adhérente à l’Atelier paysan. Coopérative agricole, l’Atelier paysan a un positionnement singulier autant que radical.
Le low tech comme autonomie
L’autonomie des agriculteurs se trouve dans leur capacité à se réapproprier leurs outils, c’est-à-dire à savoir les fabriquer et les réparer. S’extraire de la dépendance financière en même temps qu’on choisit de travailler la terre de façon plus respectueuse passe par l’utilisation d’outils adaptés.
« Or, qui mieux qu’un paysan sait de quoi il a besoin ? » demande Marie Océane.
C’est fort de ce questionnement que l’Atelier paysan a commencé à rassembler des savoirs et savoir-faire paysans en matière d’outil. Puis, et pour pouvoir les mettre à la portée de tous, les ingénieurs ont procédé à la rationalisation et la simplification des outils dont certains étaient constitués de bric et de broc.
« Pour qu’ils soient facile à reproduire, nous les avons dessinés au plus simple. »
Dès lors, ils ont été mis en ligne, librement accessibles sur le site de la coopérative agricole.
Mais ce n’était qu’une première étape. Aujourd’hui, lorsqu’un paysan a besoin d’un outil qui n’existe pas ou d’adapter une machine existante à une nouvelle pratique, ce nouvel outil est co-construit et partagé avec tous.
De plus, une carte des éco constructeurs offre à celles et ceux qui en ont besoin des ressources de proximité.
La co-construction comme philosophie
Le collectif est toujours plus créatif, plus efficace et plus innovant, c’est une certitude à l’Atelier paysan. Mais la co-construction est aussi une vraie radicalité de l’action dans un monde qui ne joue que l’individu. Reconstruire du commun est indispensable à un changement complet de paradigme. Le pratiquer, c’est ça la radicalité de l’approche. Et elle accompagne la nécessité d’une réflexion autour de l’agriculture qui doit être repensée intégralement.
L’Atelier paysan est donc aussi un collectif de recherche qui s’intéresse aux formes de l’autonomie.
« Il faut bien distinguer l’autonomie collective que fabrique la co-construction de l’autonomie individuelle que nous vend le capitalisme. »
L’agriculture est à la fois le problème et la solution, tout dépendra de sa capacité à se transformer.
L’outil comme radicalité politique
Or, la technique et l’outil sont aussi la base et la traduction d’une pensée politique. Ils correspondent à des modes de culture. Lorsqu’il a fallu accroître les rendements, les machines ont été conçues pour faire du paysan un producteur à la manière des usines.
« Aujourd’hui, nous voulons des outils qui accompagnent une évolution de l’agriculture vers l’agroécologie. Que les choses soient claires, il ne s’agit en aucun cas d’un retour en arrière ! Bien au contraire, il faut prendre en compte les réalités climatiques et écologiques pour continuer à nourrir les populations. »
Derrière cela, il y a des enjeux de santé pour les paysans comme pour les citoyens, mais aussi des enjeux alimentaires, des enjeux écologiques majeurs en termes de gestion de l’eau, des surfaces et des sous-sols, de biodiversité… d’avenir !
À cet effet, des formations d’utilisation et de construction des outils, mais aussi de permaculture, de maraîchage et d’auto construction sont proposées à travers l’Hexagone. Parce que c’est en s’emparant du réel de l’agriculture qu’on la fera basculer !
Pendant longtemps, les questions techniques ont été – volontairement – restées en périphérie alors que la grande culture industrielle s’est construite sur le gigantisme des machines dans une association économique avec les biotechnologies.
Pendant ce temps, le monde paysan y perdait son autonomie et sa santé pendant que les citoyens y laissaient leur souveraineté alimentaire et amputaient leur santé. Au nom de l’innovation technologique, on a méprisé les technologies paysannes.
L’outil réapproprié pour une autre agriculture
Aujourd’hui, nous savons que la notion d’innovation ne recouvre pas celle de progrès et qu’il faut en interroger les fins. On sait encore que le paysan est et a toujours été un innovateur. Il est donc temps de désendetter les fermes, de laisser vivre les sols et de s’appuyer sur le vivant pour produire pour les vivants.
Dans « Reprendre la terre aux machines : Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire ! », les sociétaires de l’Atelier paysan explorent l’histoire et éclairent l’avenir d’un métier fondamental pour notre survie. Mais si c’est la production la mieux connue, ce n’est pas la seule et les publications sont nombreuses et diverses.
Ce qui est important « c’est que nous travaillons aussi avec les paysans pour ces publications ».
« Nous avons aussi lancé une enquête participative en binôme : un paysan/ un sociologue pour aller dans les fermes et apprendre comment ça fonctionnait économiquement et techniquement. Nous avons co-construit la grille d’entretien et surtout, nous étions sûr.e.s d’avoir une compréhension éclairée des réponses. Nous nous sommes rendu.e.s compte à quel point nous avions plein d’idées préconçues.
Nous pensions trouver des gros tracteurs partout et que les petits d’autrefois avaient été remisés. Pas du tout, dans toutes les fermes il y a des outils très différents en termes de technique. C’était passionnant ! » conclut Marie Océane.