En l’espace d’une semaine, les députés ont voté à deux reprises une motion de rejet préalable pour se soustraire au débat parlementaire et remettre l’examen des lois proposées à une commission mixte paritaire, où elles ont bien plus de chances d’être adoptées. Une tactique particulièrement inquiétante au regard du déni de démocratie qu’elle induit.
Le 26 mai se tenait à l’Assemblée Nationale un débat qui visait à examiner un texte visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », plus connu sous le nom de “Loi Duplomb”. Une séance particulièrement attendue, et appréhendée, du fait des propositions hautement contestées présentes dans le texte de loi.
Réintroduction d’un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, extrêmement nocif pour l’environnement et les êtres vivants, assouplissement des procédures d’urbanisme pour les constructions agricoles, y compris en zone naturelle, simplification des règles environnementales pour les projets d’élevage… Un véritable recul quant aux garanties obtenues ces dernières années grâce au droit environnemental.
En guise d’opposition à cette proposition, près de 3 500 amendements ont été déposés, principalement par les groupes Écologistes et La France Insoumise (LFI). Une réponse fustigée par le camp macroniste et Les Républicains (LR), à l’origine de cette proposition de loi, qui dénoncent une tentative « d’obstruction parlementaire ». Pour contourner cette opposition, les groupes parlementaires soutenant le projet ont alors eu recours à une stratégie aussi inédite qu’inquiétante.
Un « coup de force anti-démocratique et anti-écologique »
Julien Dive (LR), rapporteur de la loi, a ainsi choisi de déposer une motion de rejet préalable de son propre texte, dans le but d’écarter le débat en séance et de confier la décision finale à une commission mixte paritaire. Elle sera finalement votée grâce à une alliance entre le bloc central et les blocs de droite et d’extrême droite.
Cette stratégie, qui vise à « saborder un texte pour ne pas avoir une seule minute de débat dans [l’]hémicycle » selon la députée LFI Mathilde Panot, pose la question du respect des principes démocratiques qui incombent au Parlement. Car il s’agit là d’un « coup de force anti-démocratique et anti-écologique », a dénoncé Greenpeace.
Au-delà du droit de l’environnement, c’est le débat parlementaire qui est le grand perdant de cette nouvelle stratégie.
« C’est une méthode pour couper court à la volonté de délibération, voire à l’existence de la délibération, parce qu’elle n’a même pas le temps de s’installer », analyse la Maître de conférence en droit public Chloë Geynet-Dussauze, pour La Relève et La peste.
Cette tendance, si elle venait à se banaliser, poserait la question de l’utilité de l’Assemblée Nationale, dont la vocation première reste le débat parlementaire.
Mais la dérive ne s’arrête pas là. Une semaine après ce premier passage en force, les députés se sont de nouveau illustrés par le recours à cette tactique afin de contourner le débat autour d’une proposition de loi particulièrement controversée : la loi de validation de l’A69.
Un 49.3 parlementaire
À la différence que cette fois-ci, ce n’est pas le rapporteur du texte qui s’est porté en tant qu’avocat de son rejet. La motion de rejet préalable a, en effet, été déposée par LFI, qui entendait par ce biais marquer une opposition symbolique au texte de loi. Mais la manœuvre s’est finalement retournée contre eux lorsque Jean Terlier, le rapporteur du texte, a appelé ses alliés – allant du bloc macroniste jusqu’à l’extrême droite – a voter unanimement cette motion.
« Sur le fond, je suis parfaitement opposé à cette motion, mais je vais demander à mes collègues de voter en faveur de manière à aboutir et faire en sorte de voter ce texte sur l’autoroute A69 », a-t-il déclaré lors de la séance parlementaire du 2 juin.
Les réactions à cette position ne se sont pas fait attendre. « Vous faites honte à la démocratie représentative » a alors lancé la députée écologiste Christine Arrighi, dont le groupe s’est retiré de l’hémicycle en guise de protestation, déplorant un « simulacre de vote ».
Mathilde Panot (LFI) s’est indignée face au déni de démocratie que revêt la stratégie de l’opposition. « Cela fait maintenant deux fois que vous détournez la motion de rejet en 49.3 parlementaire » a-t-elle dénoncé, avant de mettre en garde contre une potentielle institutionnalisation de cette méthode antidémocratique.
Non-contents de la nature particulièrement clivante des débats abordant des questions environnementales, les députés macronistes, appuyés de leurs soutiens de droite, assument leur choix de cette manœuvre particulièrement grave pour la vie démocratique de l’Assemblée.
« Cela en dit long sur la capacité du Parlement à avoir intériorisé son inutilité. […] Cela fait des dizaines d’années que le Parlement est persuadé qu’il ne sert pas à grand-chose alors maintenant, il n’hésite pas à s’empêcher tout seul de délibérer, » précise Chloë Geynet-Dussauze pour La Relève et La Peste.
Face à ce contournement des délibérations au sein de l’Assemblée Nationale, des élus ont d’ores et déjà annoncé vouloir saisir le Conseil Constitutionnel, espérant que ce dernier s’érige en rempart face à ce déni de démocratie.