L'arrivée de l’ultra fast-fashion, dans le seul pays ciblant directement son modèle par une proposition de loi, sonne comme un coup de massue. Lorsque le géant chinois de la mode jetable Shein annonce, le 6 octobre dernier, s’installer au BHV de Paris et dans plusieurs Galeries Lafayette à travers la France, les organisations réunies au sein de la Coalition « Stop Fast-Fashion » tirent la sonnette d’alarme.
Shein, un dumping social, sanitaire et environnemental
En 10 ans, la production de vêtements a doublé, atteignant 101 milliards de vêtements vendus dans le monde en 2019. Des chiffres représentatifs qui témoignent d’une course effrénée à la surproduction et du triste constat que le secteur de l’ultra fast-fashion domine désormais le marché, transformant le modèle économique de l’industrie textile au détriment de l’environnement et des droits humains.
À chaque maillon de la chaîne, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à l’impossibilité de recycler, près de 90 % des textiles produits, l’industrie accumule des dégâts colossaux. De multiples enquêtes ont mis en lumière la toxicité des textiles, l’usage de travail forcé, le travail des enfants et les violences sexistes dans les chaînes d’approvisionnement.
Shein publie plusieurs milliers de nouveaux modèles par jour, incitant à la surconsommation et au gaspillage. En Europe, chaque année, 80% des 4 millions de tonnes de textiles liquidés finissent enfouis ou incinérés, alors que 10 à 12% seulement se retrouvent sur le marché de la seconde main.
Des lois en faveur de l’ultra fast-fashion
L’annonce d’implantation sur le territoire français intervient deux jours après les dénonciations de l’OCDE concernant les violations massives des droits humains et les atteintes environnementales commises. Des arguments, pourtant solidement ficelés après deux ans d’enquêtes, que cherchent à contrer la marque chinoise.
Déjà en mars 2024, la proposition de loi « visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile » dite loi « fast fashion », d’abord adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, fut finalement modifiée en commission en mars 2025 en faveur de cette industrie. Conséquence des pressions exercées par Shein pour défendre son modèle de production et dénoncer cette proposition de loi, mais aussi du lobbying. Christophe Castaner avait pris publiquement position contre la loi fast-fashion, après avoir été embauché par Shein au travers de sa société de conseil Villanelle Conseil.
Le 3 juin dernier, le Sénat approuve une nouvelle version de la loi sur la réduction de l’impact environnemental de l’industrie textile, en ciblant explicitement deux plateformes d’ultra fast-fashion et en mettant en avant leurs particularités. Une évidence que les géants chinois possèdent la capacité de contourner ces dispositions et d’échapper aux régulations ciblées.
Fast-fashion et ultra fast-fashion, même dégâts
En plus de révéler les limites d’un encadrement législatif qui ne vise que quelques géants chinois, laissant le reste du secteur hors du cadre réglementaire, la stratégie de Shein illustre à quel point la frontière entre fast et ultra fast-fashion est devenue poreuse.
En ouvrant une antenne en France et en se transformant en plateforme multi-marque, le géant chinois cherche à se fondre dans le paysage des enseignes classiques, comme le montre sa récente alliance avec Pimkie. Shein met en avant sa capacité à créer de l’emploi, à verser des impôts et à stimuler l’économie locale, comme pour se donner une image d’acteur « responsable ».
Une affirmation trompeuse laisse entendre que la fast-fashion européenne serait plus vertueuse, alors que l’origine géographique d’une entreprise ne garantit ni production locale ni conditions de travail décentes.
En France, 97 % des vêtements vendus sont importés, souvent depuis des zones où les règles sociales et environnementales sont quasi-inexistantes. Derrière le vernis « européen », de nombreuses marques s’approvisionnent dans les mêmes ateliers que les géants chinois et certaines allant même jusqu’à écouler leurs produits sur les plateformes de ces derniers, perpétuant le même modèle.
Sous couvert de redonner vie aux centres-villes, la fast-fashion les uniformise et les vide de leur identité. Loin de soutenir l’emploi, elle en détruit massivement : née des délocalisations massives vers l’Asie dans les années 1990, elle a contribué à la disparition de plus de 310 000 postes qualifiés dans le textile français.
De leur côté, les français ne sont pas dupes. Une pétition s’opposant à l’implantation de SHEIN au BHV Marais a déjà recueilli près de 85 000 signatures. Quant à Frédéric Merlin, PDG de la Société des grands magasins (SGM) qui détient les fonds de commerce du Bazar de l’Hôtel de Ville (BHV) dans le centre de Paris et de cinq Galeries Lafayette à Angers, Dijon, Grenoble, Limoges et Reims, il pourrait bien tout perdre.
La Banque des territoires, son partenaire financier décisif, vient de le lâcher suite au tollé provoqué par l’alliance entre le BHV Paris et Shein. De nombreuses marques désertent le grand magasin, tandis que les salariés du BHV vont faire grève.
Les organisations regroupées au sein de la Coalition « Stop Fast-Fashion » appellent désormais la commission mixte paritaire (CMP), convoquée pour finaliser le texte de loi, à aborder le sujet dans sa globalité plutôt que sous le seul prisme économique.
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