Arrivées de Porto Rico, les minuscules mais tonitruantes grenouilles coqui se sont attirées les foudres de l’État d’Hawaï. Au prétexte de protéger la biodiversité locale de cette espèce invasive, les autorités veulent éradiquer les grenouilles coqui en répandant de l’acide citrique à l’aide de drones sur l’île d’Oahu.
Des grenouilles éradiquées par drone
Arrivées clandestinement à bord de pots de fleurs depuis Porto Rico, les grenouilles coqui se sont épanouies à Hawai, faute de prédateur naturel, à tel point qu’il y en aurait en moyenne 90 000 par hectare. Dans la réserve de Kuliouou, sur l’ile d’Oahu, 5 hectares de forêt ont ainsi été colonisés. Ces 5 hectares étant en altitude et difficiles d’accès par voie terrestre, le Département du territoire et des ressources naturelles a décidé d’employer les grands moyens et d’envoyer des drones pour les éliminer.
De nuit, les appareils volants vont pulvériser une solution à base d’acide citrique alimentaire dilué dans l’eau sur le lieu de vie des animaux. Inoffensif pour les humains, l’acide citrique devient mortel pour les amphibiens et leurs têtards qui l’absorbent par la peau. Cette solution était déjà diffusée par pulvérisateur normal sur le reste de l’île, c’est la première fois que des drones seront utilisés.
Le département d’Hawai leur reproche de dévorer insectes et araignées endémiques dont les oiseaux hawaïens dépendent pour se nourrir. L’autre raison : le chant caractéristique des mâles entonné si bruyamment qu’il peut atteindre jusqu’à 90 décibels, soit à peu près « le niveau sonore d’une tondeuse à gazon ». C’est d’ailleurs le bruit puissant émis par les milliers de grenouilles coqui dans la réserve de Kuliouou qui a alerté un riverain.
Les espèces invasives sur Hawaï
Mais le remède pourrait-il s’avérer plus nocif que le mal ? Si les autorités utilisaient déjà cette solution sur d’autres parties de l’île, il n’y a pas de suivi sur la façon dont cela pourrait impacter d’autres espèces d’amphibiens, endémiques celles-ci.
Surtout, Hawaï a « une longue histoire d’extinctions et d’invasions d’espèces biologiques », rappelle l’écologue brésilien Jeferson Vizentin-Bugoni, chercheur à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign (UIUC) ayant participé à une étude sur les espèces invasives de l’île.
Les premiers polynésiens ont éliminé les gros oiseaux coureurs, lors de leur arrivée il y a 1500 à 2000 ans. Puis, les populations européennes débarquées par James Cook ont amené chats et rats qui ont décimé les oiseaux, tandis que le bétail (cochons et chèvres) s’est attaqué aux plantes. Tourisme de masse et maladies en tout genre ont enfoncé le clou au cercueil. Au total, 77 espèces ou sous-espèces d’oiseaux auraient disparu à Hawaï (15 % des extinctions mondiales), dont la totalité des espèces frugivores, et plus d’une centaine d’espèces de plantes.
Et sans oiseaux, pas de dispersion de graines, et donc extinction des végétaux. Pour y remédier, cela fait 100 ans que les autorités de cet État américain introduisent des oiseaux venus du continent. Or, ces oiseaux préfèrent les plantes venues du continent plutôt que les végétaux autochtones. De fait, si un écosystème perdure grâce aux espèces invasives, l’ancien écosystème n’existe plus, « et n’existera plus jamais », soulignent les chercheurs.
Forts de ces résultats, la décision des autorités d’Hawaï d’éradiquer les grenouilles coqui est-elle bien raisonnable ? Seul le futur le dira. A force de jouer les apprentis sorciers, on peut finir par se brûler.
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