Générations Futures a fait analyser plusieurs points d’eau à proximité de la plateforme chimique de Salindres, dans le Gard, où se trouve l’une des 5 usines de France productrices de PFAS, ces substances per et polyfluoroalkylées, aussi appelés « polluants éternels ». Dans un rapport publié le 6 février, l’association révèle que des taux records et anormalement élevés de TFA et d’acide triflique ont été détectés à la fois dans les rivières mais aussi dans l’eau potable. Un décryptage de Juliette Boffy.
Un lourd passé industriel
En février 2023, le quotidien Le Monde publiait une carte d’Europe de la contamination par les PFAS, fruit de l’enquête collaborative internationale « Forever Pollution Project ». Le document recense les nombreux sites et usines européens où sont produits ou utilisés ces polluants éternels. Ces derniers sont prisés des industriels « du fait, entre autres, de leur propriété imperméabilisante, antiadhésive, leur résistance aux chaleurs extrêmes et aux agents chimiques ».
C’est en se basant sur ces données que l’association de défense de l’environnement Générations Futures, se battant depuis des décennies contre les pollutions chimiques de toute sorte, décide de « renforcer son action […] en réalisant de nouvelles analyses sur le terrain ».
C’est à Salindres, petite commune de 3 300 habitants du Gard, que l’équipe porte son dévolu en fin d’année 2023. Là-bas se trouve l’usine Solvay, productrice de PFAS et spécialisée en chimie du fluor à destination des marchés de l’électronique, la pharmacie ou la protection des cultures. En France, on retrouve 4 autres usines de ce type, réparties dans le Rhône, dans l’Oise et le Jura.
Sur place, l’industrie chimique remonte à loin. Depuis les années 1850 se sont succédées des productions industrielles passant de l’aluminium aux composés perfluorés, les PFAS, menées successivement par Péchiney, Saint Gobain ou Rhodia, et, aujourd’hui, Solvay. Un site d’entreposage de déchets miniers se trouve également à proximité.
28 PFAS analysés
C’est dans ce contexte que l’association a choisi de se concentrer sur les deux cours d’eau qui bordent Salindres, l’Arias et l’Avène, afin d’analyser la pollution aux PFAS, encore jamais documentée ni analysée à sa connaissance. Au total, 7 prélèvements d’eau de surface ainsi que 3 d’eau potable ont été effectués de septembre à novembre 2023, avec l’aide du laboratoire Ianesco, agréé par les Ministères en charge de l’environnement et de la santé. La recherche portait alors sur 28 PFAS, dont trois ont été ciblés particulièrement : l’acide trifluoroacétique (TFA), l’acide triflique et le lithium bis.
Et les résultats sont pour le moins évocateurs. En eaux de surface, 99,9% des PFAS retrouvés dans le rejet sont le TFA et l’acide triflique, et proviennent, en tout logique, majoritairement de l’usine Solvay. Le TFA s’élève à 7,5 mg/L dans la rivière Arias, au niveau du rejet, puis à 6,7 mg/L au coeur de l’Arias, et enfin 3,9 mg/L dans l’Avène.
Le constat n’est pas plus réjouissant du côté de l’eau potable : à Boucoiran-et-Nozières et Moussac, les teneurs en TFA sont de l’ordre de 19 μg/L (soit 0,019 mg/L) et 18 μg/L (soit 0,018 mg/L). Cela représente, là encore, 99,9% du total de PFAS, qui dépassent la norme de qualité proposée par l’Europe pour l’eau potable, s’établissant à 0.5 μg/L (soit 0,0005 mg/L) pour le total des PFAS.
À noter « qu’aucune substance n’a été détectée et quantifiée dans l’eau potable prélevée à Salindres. Ces résultats étaient attendus car l’eau alimentant la ville de Salindres provient d’un captage situé bien en amont de la plateforme chimique », détaille le rapport.
Les communes dont l’eau potable peut potentiellement être impactée par les effluents de l’usine sont Boucoiran-et-Nozières et Moussac.
Des taux anormalement élevés
S’il faisait peu de doute que des PFAS seraient effectivement détectés après analyse des échantillons, ce sont cependant les taux anormalement élevés de ces polluants, qui ont interpellé l’association. Avec le taux record de 7,5 mg/L dans la rivière Arias, le TFA dépasse largement les chiffres connus jusqu’alors.
« Nous avons effectué une analyse des données existantes dans la littérature, et les concentrations maximales que l’on a pu retrouver étaient de seulement 0.14 mg/L dans le Neckar, en Allemagne, en 2015 », détaille Pauline Corvan lors d’une conférence de presse sur le sujet.
À l’époque, l’agence allemande UBA avait jugé ce taux « exceptionnellement élevé » et lançait même un programme de recherche dédié au TFA dans le Neckar et le Rhin. Toutes les données disponibles dans les eaux de surface et souterraines en Allemagne ont été recensées et ont permis de construire une carte de pollution.
Mais en France, c’est une autre histoire. Selon le rapport, « le TFA n’est pas une substance faisant l’objet d’une attention particulière de la part des autorités sanitaires et en charge de la qualité des eaux ». Son suivi date (seulement) de fin 2021, et aucune donnée n’est disponible à ce jour dans Naïades, base recensant les analyses de contrôle de la qualité des eaux de surfaces en France.
L’acide triflique quant à lui, a été détecté à 2 mg/L dans l’Arias et 1,4 mg/L dans l’Avène alors que l’acide triflique ne doit normalement pas dépasser normalement les μg/L. Selon les recherches de Générations Futures, une fois de plus, ces taux n’avaient encore jamais été analysés auparavant à cette teneur, tout en prenant en compte des données scientifiques très lacunaires.
Un cocktail chimique aux effets inconnus
Dans les faits, le TFA sert « à la fabrication de médicaments ou de pesticides », précise Pauline Corvan, toxicologue chez Générations Futures. S’immisçant de façon insidieuse dans l’environnement notamment à travers les gaz fluorés réfrigérants (que l’on retrouve dans les frigos ou les climatiseurs), il est à ce jour considéré comme polluant éternel puisque très soluble dans l’eau et perdurant dans les sols et l’air.
Des taux exceptionnels pour les polluants les plus préoccupants, donc, mais aussi 12 à 14 autres substances contenues en plus dans les échantillons prélevés. Un véritable « cocktail chimique, dont on ne connait pas les effets », commente François Veillerette, porte-parole de l’association Générations Futures.
Selon Générations Futures, ce manque de réglementation pose d’autant plus problème que ces PFAS seraient reprotoxiques – soit dangereux pour la reproduction et/ou la fertilité – mais sont aussi possiblement reliés à des cancers, notamment du cerveau.
« Nous tenons à rappeler qu’un nombre de glioblastomes, un cancer très rare du cerveau, significativement plus élevé que dans le reste du département du Gard a été identifié à Salindres et dans la commune voisine de Rousson », ajoute l’association, précisant cependant que les rapports de Santé Publique France n’ont pas pris en compte l’hypothèse qu’une exposition aux PFAS pouvait expliquer un risque anormalement élevé de glioblastome.
Aujourd’hui, Générations Futures demande « un suivi régulier dans les eaux de surface et souterraines pour le TFA, l’acide triflique et les 24 PFAS considérés comme prioritaires par l’UE » au niveau local, mais aussi un « renforcement de la surveillance des PFAS dans les milieux aquatiques dans toute la France ».
En outre, l’association envisage le dépôt d’une plainte pénale pour « délit d’atteinte au poisson » et « délit de pollution aggravée des eaux » dans les semaines à venir.
Source : « PFAS, Contamination des eaux par les « polluants éternels » à Salindres », Générations Futures, février 2024
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