Le CADTM est un réseau international qui lutte depuis 30 ans pour l’abolition des dettes illégitimes afin de favoriser l’émancipation des peuples et la mise en place d’alternatives socialement et écologiquement soutenables. Ils font des audits dans le monde entier avec une question politique centrale : les Etats doivent-ils vraiment rembourser leur dette ?
L’illégitimité des dettes
Comme le souligne l’Expert des Nations-unies sur la dette, Juan Pablo Bohoslavsky, la signature d’un contrat n’entraîne pas automatiquement le paiement de la dette :
« L’idée qu’un État et sa population doivent rembourser la dette en toute circonstance, quelles que soient les fins auxquelles les fonds ont été empruntés, la manière dont ils ont été dépensés, ou les efforts consentis pour les rembourser, repose de toute évidence sur une conception trop simpliste de la souveraineté et du contrat ». Il existe donc des limites au paiement des dettes publiques.
Forts de cette idée, les membres du CADTM préconisent l’identification et l’annulation de dettes illégitimes. Bien sûr, le concept-même de « dette illégitime » est en lui-même politique, et non consensuel. Le CADTM considère qu’une dette est illégitime lorsqu’elle n’a pas servi l’intérêt général, mais plutôt les intérêts d’une minorité privilégiée. Pour être précis, le CADTM a défini quatre notions : des dettes illégales, odieuses, illégitimes ou insoutenables. Leur travail est construit sur trois piliers : la recherche et l’écriture d’expertise, grâce à la force de leur réseau, la formation, sensibilisation et mobilisation du grand public, mais aussi l’interpellation politique.
« Il ne s’agit pas de lobbying dans le sens où on n’essaie pas d’obtenir une loi en faisant pression sur des parlementaires, mais plutôt des informations sur la dette (origines, créanciers, conditions…). Cela permet aussi de faire connaître notre analyse et nos revendications. Par exemple, nous voulons savoir en ce moment quelles sont les créances que le pays belge détient vis à vis des pays du Sud pour pointer les incohérences du gouvernement belge. » Anouk, membre du CADTM
Sortir du cadre des grandes instances internationales
Les origines et conséquences d’une dette publique sont différentes entre les pays du Nord et ceux du Sud. Et pourtant, les grandes instances internationales comme le FMI et la Banque Centrale préconisent les mêmes mesures pour chaque dette, le plus souvent à travers l’imposition d’une politique d’austérité.
En Europe, la signature du Traité de Maastricht de 1992 interdit aux États d’emprunter à leur propre banque centrale ou à la Banque Centrale Européenne (BCE). Les Etats sont alors obligés d’emprunter aux marchés financiers, c’est-à-dire aux grandes banques privées, pour financer leurs déficits. Confirmée par l’article 123 du Traité de Lisbonne, cette interdiction d’emprunter directement à la BCE a engendré un surcoût financier énorme pour les finances publiques des États membres de l’UE. Olivier Bonfond, du CADTM, a calculé que la dette belge pourrait être à 50% en-dessous du PIB.
« A l’opposé de ceux qui affirment que la dette serait le résultat de dépenses inconsidérées de « l’État providence », il apparaît donc que la politique de financement de la dette publique via les marchés financiers a joué un rôle très important dans l’évolution de la dette publique belge ces vingt dernières années. » Olivier Bonfond
En France, le Collectif pour un Audit Citoyen de la dette publique (CAC) a réalisé une étude en 2014 révélant que 59 % de la dette publique proviennent des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêt excessifs. 50 milliards d’euros annuels vont juste aux intérêts. Pour le CADTM, si la France ne les payait pas, le pays ne serait pas en déficit. Le rapport du CAC précise :
« Au total, il apparaît clairement que la dette publique a été provoquée par des politiques économiques largement favorables aux intérêts des créanciers et des riches, alors que les sacrifices demandés aujourd’hui pour la réduire pèsent pour l’essentiel sur les salariés, les retraités et les usagers des services publics. Cela pose la question de sa légitimité. »
Les Etats endettés disposent pourtant de moyens de pression face à leurs créanciers pour négocier et encadrer les termes de remboursement au profit de leurs populations. L’un des grands exemples de réussite est l’Equateur lorsque la population, dans un contexte de mobilisation populaire incroyable, a élu Rafael Correa qui s’est engagé dans son programme à lancer un audit de la dette du pays alors que l’Equateur n’était pas en crise financière. La particularité, c’est qu’il a suspendu le paiement le temps d’examiner la dette, de voir d’où elle vient et pourquoi elle a été contractée.
« En novembre 2008, il a annoncé la suspension unilatérale du remboursement de la dette commerciale, c’est-à-dire la dette sous la forme de titres vendus sur les marchés financiers et venant à échéance en 2012 et en 2030. Pendant six mois, l’Équateur a laissé les marchés financiers sans informations. »
L’audit a permis d’identifier une partie illégitime de la dette. Rafael Corréa a alors pris un troisième acte : il a refusé de payer cette partie illégitime et a jeté hors de son territoire le représentant du FMI. Cela a permis à l’Equateur d’investir dans des services publics comme l’éducation.
Pour le CADTM, le changement viendra de la mobilisation citoyenne populaire. En Grèce, ce qui a manqué est le maintien de cette pression, Syriza ayant capitulé face aux marchés financiers. Le CADTM le revendique : il faut maintenir une pression populaire permanente et que ces questions de dette soient toujours observées par les citoyens.