C’était la décision récente la plus attendue par les défenseurs de l’environnement. Jeudi 9 juillet, à l’occasion du vote du troisième projet de loi de finances rectificative, l’Assemblée nationale a adopté le principe « d’écoconditionnalité » des aides d’État qui seront versées aux grandes entreprises pour faire face à la crise. En l’absence d’outils véritablement contraignants, une telle mesure pourrait bien briller par son inefficacité. Elle n’en demeure pas moins inédite.
Des aides financières qui n’empêchent pas la casse sociale
Suspendu à cause de la démission du gouvernement d’Édouard Philippe, l’examen en première lecture du troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR3) s’est achevé le jeudi 9 juillet à l’Assemblée nationale. À l’origine du texte, des prévisions catastrophiques : une récession de l’économie française de 11 % en 2020 ; un recul de 10 % de la consommation des ménages ; une hausse de la dette publique à hauteur 120,9 % du PIB à la fin de l’année ; une baisse des recettes fiscales et sociales de plus de 101 milliards d’euros…
Les députés ont donc dû statuer, dans un rythme soutenu, sur des dispositions sans équivalent dans l’histoire récente.
Outre la prorogation des aides d’urgence à l’activité partielle et du fonds de solidarité déjà mis en place pendant le confinement, le projet de loi prévoit un plan de soutien massif aux secteurs économiques les plus touchés par la crise sanitaire : 18 milliards d’euros seront alloués au tourisme, 8 milliards à l’automobile, 15 milliards à l’aéronautique, 2,5 milliards à la culture et la technologie, soit un montant total de 43,5 milliards d’euros, que les diverses institutions étatiques déploieront sous la forme de fonds d’investissement, d’exonérations fiscales, de plans de relance, de prêts, etc.
Les promesses financières du gouvernement n’ont pourtant pas empêché tous ces secteurs de connaître, depuis le début du mois de juin, un tsunami de plans sociaux et de licenciements, qui ne fait que commencer, si l’on en croit les estimations.
Un amendement (nº 2322) proposé par des députés La République en Marche (LREM) et Les Républicains (LR), est venu poser une contrepartie inédite à ces aides d’État aux grandes entreprises : « l’écoconditionnalité ».
Selon le texte de la loi, les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 500 millions d’euros auront l’obligation de souscrire à des « engagements en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre » pour que l’État prenne des parts dans leur capital, via l’Agence des participations de l’État (APE).
Quelle sera la mise en œuvre concrète de cette mesure ? En recevant un investissement de l’État, ces entreprises s’engageront à publier « un rapport annuel sur le respect de leurs engagements climatiques », présentant « le bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre au cours de l’exercice clos ainsi que leur stratégie de réduction de ces émissions », en cohérence avec « les budgets carbone sectoriels et par catégories de gaz à effet de serre ».
Dans le cas où ces entreprises ne publieraient pas de bilan, le texte prévoit une amende administrative de 375 000 euros, qui semble cependant à peine suffisante pour stimuler des velléités de transparence.

Le manque cruel de contreparties contraignantes
Ce type d’amendements « verts » était ardemment prôné par de très nombreuses associations écologistes, qui préconisaient de surcroît une écoconditionnalité véritablement contraignante, grâce à laquelle l’État aurait disposé de nouveaux leviers pour amorcer la transition. Mais sur le volet des sanctions, les associations n’ont pas été entendues.
Dans la version définitive du texte, rien ne force les entreprises jouissant des derniers publics à respecter leurs engagements.
Dès lors, si cet amendement constitue, selon les mots de Patrick Mignola (MoDem), une petite « avancée historique » illustrant une certaine évolution des mentalités, il n’annonce nullement un changement de paradigme, pas même une tendance au compromis. L’économie classique reste reine.
Du côté des associations et des partis écologistes, on dénonce une manœuvre de « greenwashing », au prétexte d’un amendement fantoche, qui n’aura aucune conséquence sur les actions concrètes des entreprises. Dans un communiqué de presse, l’organisation Greenpeace a déploré que « le virage écologique et social annoncé » par le président de la République soit encore une fois « repoussé à plus tard ».
Parmi les plus de 2 000 amendements figuraient certaines propositions de la Convention citoyenne pour le climat, comme la baisse de la TVA à 5,5 % sur les billets de train, l’augmentation des montants du « fonds vélo », ou encore la mise en place de prêts à taux zéro pour l’achat d’un véhicule peu émetteur, autant d’idées concrètes balayées sans appel par l’Assemblée nationale, qui laisse présager le pire quant au destin des propositions citoyennes pour le climat.
Émilie Cariou et Matthieu Orphelin, anciens membres de LREM et fondateurs du groupe Écologie, Démocratie, Solidarité, ont fustigé un amendement qui « ne comporte aucune obligation et manque singulièrement d’ambition. Son champ est trop restreint. Les sanctions y sont inexistantes, puisque les engagements relèvent du volontariat. Enfin, les entreprises y ont pour seule obligation de publier un rapport annuel sur le respect de leurs engagements climatiques. »
Par ailleurs, ajoute Greenpeace, le périmètre « des entreprises concernées (500 millions d’euros de chiffre d’affaires) » reste « très restrictif » et ne fait nullement office de mesure d’envergure.
Des dizaines de milliards d’euros seront bientôt distribués aux secteurs les plus polluants, dans le seul but de maintenir les courbes et les compteurs économiques dans la position où ils étaient avant la crise, alors qu’il aurait fallu contraindre fermement les entreprises à organiser leur propre transition, comme le suggérait la situation, qui offrait une fenêtre de tir unique aux États. Mais malgré tout, l’amendement d’écoconditionnalité représente un précédent, dont l’utilisation pourrait se généraliser dans les prochaines années.