Le gisement North Field au Qatar, le champ de gaz Bovanenkovo Zone en Russie, le réservoir de Montney Play au Canada, la mine géante de Hongshaquan en Chine, les schistes de Marcellus aux États-Unis, le bassin de Grootegeluk en Afrique du Sud…
Dans une étude publiée jeudi 12 mai par la revue Energy Policy, une équipe de chercheurs a listé et cartographié – pour la première fois – « les 425 plus grands projets d’extraction d’énergies fossiles au monde » qui, à eux seuls, pourraient réduire à néant la lutte contre le réchauffement planétaire.
Surnommées « bombes climatiques » ou « bombes carbone », ces centaines d’infrastructures produisant du pétrole, du gaz ou du charbon ont ceci en commun que chacune d’entre elles émettra au moins un milliard de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) sur toute la durée de son exploitation.
Les émissions potentielles cumulées de ces 425 projets représenteraient « deux fois le budget carbone mondial » à ne pas dépasser pour maintenir le réchauffement en dessous de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, indiquent les chercheurs.
Ainsi, tandis que le monde ne dispose plus que de 420 gigatonnes (Gt) de CO2 à dépenser avant d’atteindre ce niveau de réchauffement (un budget qui, au rythme actuel, sera épuisé d’ici dix ans), les émissions de ces 425 bombes climatiques s’élèveront à 1 182 Gt de CO2, suffisantes pour porter le réchauffement bien au-delà des 2 °C.
Tous concernés
Sur les 195 infrastructures pétrolières et gazières et les 230 mines de charbon recensées par l’étude, « environ 40 % (169) n’avaient pas encore démarré leur production en 2020 », écrivent les auteurs. En ne les inaugurant pas ou en abandonnant leur construction, on pourrait donc éviter le rejet de 419 Gt de CO2 dans l’atmosphère.
Par ailleurs, la plupart des bombes carbone se concentrent dans une dizaine de pays : Chine (141), Russie (41), États-Unis (28), Iran (24), Arabie saoudite (23,5), Australie (23), Inde (18), Qatar (13), Canada (12) et Irak (11), qui rassemblent « trois quarts de leurs émissions potentielles ».
Une telle concentration pourrait « faciliter » les « efforts multilatéraux » à entreprendre auprès des gouvernements, se réjouissent les chercheurs, qui craignent cependant que la multiplication « des mines de charbon en Chine (130 projets, dont 48 nouveaux) » et « des projets pétroliers et gaziers au Moyen-Orient (82 projets, dont 24 nouveaux) » ne force le monde entier « à dépasser les objectifs des accords de Paris ».
Pari contre le climat
Hasard du calendrier, dans une enquête au long cours publiée un jour plus tôt, le 11 mai, deux journalistes du Guardian recensaient également « 195 bombes climatiques » qui, menées à leur terme, produiraient 18 années d’émissions mondiales de gaz à effet de serre.
« Les douze plus grandes compagnies pétrolières, révèle le quotidien anglais, s’apprêtent à dépenser 103 millions de dollars par jour pendant le reste de la décennie pour exploiter de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, qui ne peuvent être brûlés si nous voulons contenir le réchauffement climatique bien en deçà de 2 °C. »
Une étude parue en 2015 affirme que 60 % des réserves mondiales de gaz et de pétrole et 82 % de celles de charbon devraient rester sous terre pour que l’objectif des 2 °C de réchauffement maximal soit atteint.
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Or, note le Guardian, « les plans d’expansion à court terme » de la plupart des sociétés pétrolières – Gazprom, ExxonMobil, Total en tête –, « restent colossaux » et « ne seront rentables que si les pays échouent à réduire drastiquement leurs émissions de carbone ».
Pour rappel, l’expression « d’empreinte carbone » a été inventée par la British Petroleum (BP), dans une publicité télévisée de 2005. Tout en « pariant contre le climat » (c’est-à-dire contre l’humanité), les producteurs d’énergies fossiles, à l’origine de 70 % des émissions de gaz à effet de serre des deux dernières décennies, tentent donc de convaincre les citoyens qu’ils sont les premiers responsables de la crise climatique.
crédit photo couv : MINISTRY OF FOREIGN AFFAIRS / AFP
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