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“40% des américains ont déclaré leur sympathie à Luigi Mangione, c’est énorme !”

Le capitalisme est un système intrinsèquement violent qui produit la violence de l'exploitation. Le principe, c'est la division entre capital et travail : ceux qui possèdent font travailler les gens et extraient de leur travail une plus-value. Mais c'est aussi la mise en marché du monde, la conquête permanente de nouveaux marchés par la colonisation, les guerres, la destruction des secteurs de solidarité.

Interview avec Nicolas Framont, sociologue, rédacteur en chef du magazine Frustration Magazine et auteur de "Saint Luigi : Comment répondre à la violence du capitalisme ?" Dans un café montreuillois, je rencontre Nicolas Framont qui vient de publier un ouvrage sur l'affaire Luigi Mangione et ses implications politiques. Une réflexion dérangeante sur la violence et les impasses de notre époque.

Qu’est-ce qui t’a amené à écrire « Saint Luigi » ?

NF : J’écris des ouvrages de critique sociale pour le grand public, c’est-à-dire la diffusion d’idées qui rénovent le concept de lutte des classes à travers des enquêtes et des analyses. « Saint Luigi » s’inscrit dans cette tradition.

Je précise toujours que Luigi Mangione est le principal suspect d’un meurtre et à ce jour, il plaide non coupable. Il avait 26 ans au moment de son arrestation pour le meurtre de Brian Thompson, qui est le PDG de United HealthCare, la principale assurance santé privée des Etats-Unis. Ce qui m’a frappé avec l’affaire Luigi Mangione c’est la réaction qu’elle a suscitée.

Contrairement aux actions terroristes des années 70-80 comme Action directe ou les Brigades rouges, qui produisaient de la répulsion. Là, il y a eu un élan de sympathie extraordinaire. Aux États-Unis, 40% des gens ont eu de la sympathie pour son geste ! C’est énorme et très révélateur d’une époque où la violence des riches devient tellement intolérable que même les moyens les plus extrêmes deviennent acceptables.

Pourquoi ce titre ?

NF : C’est évidemment humoristique. Je ne suis pas chrétien, mais je sais qu’on a tendance à nommer des gens ayant fait preuve d’abnégation et et de courage, et qui transcendent un peu le cours ordinaire des choses, quand bien même leur action peut être moralement répréhensible. Il y a eu beaucoup de saints, de gens sanctifiés par le Pape, par l’Église catholique, qui ont commis des meurtres. Saint Louis, roi de France, a participé à des croisades, par exemple. On peut dire que c’était un meurtrier. Donc finalement, il n’y a pas d’obstacle à sanctifier les meurtriers. 

Comment analyses-tu le profil de Luigi Mangione ?

NF : Ce qu’on sait, c’est qu’il aurait dit dans un commentaire : « Toute forme de communication échoue. » Le manifeste retrouvé sur lui – contesté par sa défense – indique que « ces parasites l’ont bien cherché » et que « les États-Unis ont un des pires systèmes de santé » malgré leur richesse.

Ce qui explique son succès populaire, c’est son côté « normal ». Ce n’est pas un idéologue, pas quelqu’un qui a toujours été engagé, il ne fait pas partie d’une organisation. C’est un loup solitaire qui aurait tiré des conclusions dans son coin. Et c’est ce qui les rend d’autant plus fortes : on ne peut pas le soupçonner d’être biaisé ou endoctriné.

Crédit Photo : TIMOTHY A. CLARY / AFP

C’est un individu lambda qui a tiré les conclusions qui s’imposaient. Ça le rend particulièrement dangereux et puissant car ça veut dire que si quelqu’un comme lui peut en arriver là, n’importe qui d’autre peut le faire. C’est pour ça que la bourgeoisie américaine est vent debout.

Quel lien fais-tu entre capitalisme et écologie ?

NF : L’écologie, c’est là partout et nulle part. Chaque mois, on a des preuves qu’on a basculé dans une autre ère climatique, mais rien n’est fait parce que la plupart des partis ne sont pas anticapitalistes. Ils en parlent sans en parler, avec toujours des mesurettes.

Pourtant, nous priver des conditions de notre survie sur terre, qu’y a-t-il de plus violent ? Le capitalisme nous demande l’illimitation dans un monde limité en ressources. C’est impossible. Les morts des crises climatiques sont à attribuer au capitalisme.

Crédit photo : ANGELA WEISS / AFP

C’est pourquoi j’admire les Soulèvements de la Terre, la meilleure chose arrivée à l’écologie politique ces dix dernières années. Plutôt que de négocier, ils appellent à l’action de démantèlement. Dans ma Charente-Maritime, au cœur de la guerre de l’eau, je suis content qu’on ait des activistes qui agissent contre les méga-bassines plutôt que d’aller dans d’impossibles négociations.

Tu parles de « violence du capitalisme ». Cette violence s’est-elle renforcée aujourd’hui ?

NF : Le capitalisme est un système intrinsèquement violent qui produit la violence de l’exploitation. Le principe, c’est la division entre capital et travail : ceux qui possèdent font travailler les gens et extraient de leur travail une plus-value. Mais c’est aussi la mise en marché du monde, la conquête permanente de nouveaux marchés par la colonisation, les guerres, la destruction des secteurs de solidarité.

Ces quarante dernières années, cette violence s’est particulièrement renforcée parce qu’il n’y a plus de répondant en face. Le capitalisme est plus violent parce qu’il a l’impunité. La bourgeoisie peut se permettre d’être plus violente car ses adversaires ont été désarmés, pacifiés ou même ingérés par les institutions. Une partie des syndicats par exemple.

Prenez la France : la désindustrialisation crée du chômage et des gens qui perdent le sens de leur vie. Et dans les pays où les industries sont implantées, c’est violent aussi car ils sont choisis pour leur moindre droit du travail. Résultat : la fortune des 500 personnes les plus riches de France a été multipliée par quatorze en deux décennies !

Comment as-tu personnellement évolué sur la question de la violence politique ?

NF : J’ai beaucoup évolué. Je me méfie d’abord du terme « violence » car c’est un terme polysémique. La qualification de violence est donnée d’en haut, par la loi et les médias dominants, sur des critères subjectifs. Il y a des choses qui leur semblent immensément violentes, comme la violence sur les biens, et d’autres qui ne le sont pas tant que ça, comme un génocide en Palestine.

Personnellement, j’ai commencé très radical, prônant l’action directe. Puis je me suis assagi, espérant dans l’action électorale. J’ai même été collaborateur parlementaire. À cette période, je pensais qu’on pouvait conquérir le pouvoir par une action légale et respectable.

Puis j’en suis revenu. Le mouvement des gilets jaunes a représenté un tournant. J’ai vu qu’un mouvement qualifié de violent obtient beaucoup plus d’effets que tous les mouvements pacifistes des vingt dernières années. J’ai aussi vu que l’action parlementaire est entièrement définie par et pour la bourgeoisie.

Que penses-tu des stratégies non-violentes qui misent sur les faiblesses de l’adversaire ?

NF : Je suis d’accord qu’il faut être stratégique et exploiter les faiblesses de l’adversaire. En tant que formateur pour les syndicalistes, je dis toujours : regardez de quoi votre employeur a peur et activez cette peur. Parfois on obtient des résultats avant même d’avoir agi.

Le mouvement du 10 septembre « Bloquons tout » illustre parfaitement cela. Depuis cet été, on agite l’idée d’un mouvement radical de désobéissance civile et avant même qu’il ait lieu, et il produit déjà des effets. La classe politique est obligée de se positionner et ça contribue à la panique des soutiens du macronisme.

Mais je me méfie énormément de l’action symbolique. Manifester à 3 millions entre République et Nation, ce n’est plus une menace ! Ils n’ont plus peur pour leur réputation car notre classe politique se sent plutôt honorée de prendre des décisions impopulaires. En réalité, c’est l’avis de leurs pairs qui compte, pas celui de la population.

Que penses-tu d’actions comme les décrochages de portraits de Macron ?

NF : Les décrochages ont été très réprimés – des gens arrêtés chez eux à 6h du matin pour avoir décroché un portrait ! Donc cette action n’était pas rien. Par contre, ça n’a pas suffi. Il n’y a pas eu de renversement de tendance.

Ces actions relèvent de la mise en scène médiatique, mais la question de l’image n’est plus un sujet pour eux. Ce qui reste un sujet, c’est leur portefeuille. Comment prendre la bourgeoisie au portefeuille ? On fait grève, on bloque les flux économiques. C’est la logique du mouvement « Bloquons tout » : on n’a pas réussi par l’impopularité, le ridicule, alors on va les avoir dans le portefeuille.

Tu évoques dans ton livre le « livre noir du capitalisme ». Peux-tu développer?

NF : Il y a eu un livre noir du communisme qui comptabilisait les morts liés aux régimes communistes. Mais qu’en est-il du livre noir du capitalisme ? Par exemple, les 700 000 morts liés à la crise des opioïdes aux États-Unis, causée par la famille Sackler et son laboratoire Purdue Pharma qui a commercialisé l’OxyContin.

Cette famille a poussé la logique capitaliste jusqu’au bout dans un système où le marché du médicament est dérégulé. Ils ont obtenu la liberté d’entreprendre en corrompant plus ou moins la Food and Drug Administration. Un produit répondait à une demande – permettre aux gens de retourner travailler dans un pays où les arrêts maladie sont l’exception – et ça rapportait de l’argent. Peu importe les morts.

C’est ça la logique du capitalisme : l’accumulation de profits avant toute chose. Quand vous mettez le profit avant tout, le reste n’a pas d’importance, y compris la vie humaine. Le capitalisme se fout de la vie humaine, en tout cas de pas mal de vies humaines.

Ta conclusion sur notre époque ?

NF : Si le bon sens devient de se dire qu’il faut s’en prendre directement aux responsables, c’est très flippant pour les responsables. Luigi Mangione incarne cette évolution : nous sommes dans une époque où ce qui semblait inconcevable d’un côté comme de l’autre devient “acceptable”.

Isabelle Vauconsant

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