Pour comprendre quels sont les rapports de force à l’œuvre dans le monde aujourd’hui, répondre aux questions « Qui possède quoi ? » ou « Qui finance quoi ? » est souvent bien utile. La complexification des mécanismes du marché et les métamorphoses du commerce international nécessitent pourtant d’être saisies dans toute leur profondeur afin que les pouvoirs publics puissent répondre avec des politiques adaptées à la sauvegarde de l’intérêt général. Aux Etats-Unis, trois fonds d’investissement – State Street, Vanguard et Back Rock dits les « Big Three » – sont les actionnaires principaux de 88% des 500 plus grandes sociétés américaines (selon l’indice S&P 500). Une concentration des pouvoirs qui a alarmé les chercheurs de « Corpnet ».

« Corpnet » un laboratoire de recherche pour mettre à jour les rapports de force dans le monde du commerce et de la finance

Cette concentration des pouvoirs entre 3 grands fonds d’investissements a été mise à jour par des chercheurs de Corpnet, un laboratoire de recherche qui a pour objectif de « mettre à jour, d’enquêter et de comprendre les systèmes et les réseaux globaux qui structurent le contrôle des entreprises du monde capitaliste contemporain ». Un vaste projet, financé par l’ERC (conseil de recherche de l’Union européenne) et localisé au sein de la prestigieuse « Amsterdam Institute for Social Science » (Institut de recherche en sciences sociales).

Dans plusieurs articles disponibles sur le site de « Corpnet », des chercheurs – dont Carmel Shankar, Eelke M. Heemsherk, Jan Fichtner et J. Garcia-Bernardo – mettent à jour la restructuration des rapports de pouvoirs entre les fonds d’investissement et les entreprises depuis la crise de 2008, ainsi que ses conséquences sur le fonctionnement de l’économie américaine.

Une concentration des pouvoirs dans les mains de quelques-uns…

En effet, après des recherches approfondies les chercheurs montrent comment la crise des subprimes de 2008 a provoqué un reflux des fonds vers les fonds d’investissement utilisant la méthode du management passif. Une méthode qui consiste à prendre en compte les informations du marché comme étant pertinentes et révélatrices de la valeur intriquée des actions, et qui implique une détention des participations sur une durée longue.

Cet effet du marché post-2008 a permis aux « Big Three » de concentrer désormais 88% de la gestion d’actifs des plus grandes sociétés américaines. Cette tendance a véritablement redéfini l’actionnariat et les rapports de pouvoir qui structurent le marché financier américain : les fonds d’investissement détiennent aujourd’hui l’essence du pouvoir au sein des entreprises, tant leurs positions – une fois agrégées – dominent le marché. Ces fonds influencent alors les politiques au sein des plus grandes multinationales, de manière coordonnée, grâce notamment au droit de vote attaché à leur détention de participation. En effet, une analyse des votes des plus grandes entreprises américaines lors des conseils d’administration révèle que les « Big Three » coordonnent leurs stratégies à travers différents entreprises dont elle possède la participation majoritaire.

Mais ce n’est pas tout ! Ces fonds d’investissement « géants » dominent également les entreprises via d’autres canaux, dont des investissements privés en termes de gestion au sein des entreprises et la proximité entre le monde des fonds d’investissement et des entreprises en intériorisant les demandes des fonds d’investissement.

Des nouveaux risques sur le marché…

Cette concentration et cette redéfinition des pouvoirs pourrait bien s’avérer néfastes pour le fonctionnement du marché. Les enjeux sont immenses : ils détiennent une majorité des parts dans plus de 1 600 grandes entreprises américaines, employant plus de 23 millions de personnes en générant plus de 17 trillions de dollars – 17 milliards de milliards de dollars – soit le PIB des Etats-Unis.

Si les possibilités pour ces fonds d’investissement d’utiliser leurs pouvoirs pour influencer les décisions des entreprises restent limitées, une telle concentration des pouvoirs n’est jamais une bonne nouvelle pour les consommateurs, qui sont les premiers touchés par les effets anti-concurrentiels des ententes.

Comprendre le fonctionnement de l’économie et des rapports de pouvoir qui s’y jouent

L’étude de Corpnet sur les rapports de pouvoir au sein des marchés financiers américains est primordiale aujourd’hui. A l’heure de la complexification croissante des échanges économiques de toute sorte, il est nécessaire de mettre à jour les réseaux qui structurent le fonctionnement de la finance de marché. Ces recherches scientifiques devront aider à mettre sur pieds des politiques publiques adaptées aux nouvelles réalités du monde économique et surtout, répondant aux besoins des consommateurs et des citoyens.

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