Comme chaque année, Reporters sans Frontières publie son bilan annuel des exactions commises contre les journalistes. En 2020, 50 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions, 387 journalistes sont prisonniers, 54 sont retenus en otage et 4 sont portés disparus. Fait notable, il y a eu pour la première fois davantage d’homicides dans les pays en paix que dans les zones de conflits. Si la France n’a heureusement aucun mort à déplorer, la recrudescence des interpellations de journalistes dans le cadre de leur profession fait du combat pour préserver la liberté de la presse l’un des grands enjeux de 2021.
Une recrudescence des assassinats dans les pays en paix
Si le nombre de journalistes tués dans l’exercice de leurs fonctions diminue depuis une dizaine d’années, cette année 2020 a vu une tendance inquiétante se confirmer : plus des deux tiers des journalistes ont été tués dans des pays en paix.
« C’est tout à fait nouveau. » constate Pauline Adés-Mèvel, porte-parole et rédactrice en cheffe de RSF, pour FranceInter. « On avait vu cette tendance se dessiner l’an dernier, mais là c’est évident. 68% ! »
34 homicides de journalistes, représentant 68 % du nombre total, ont eu lieu dans des pays considérés comme étant « en paix ». En 2020, près de 7 journalistes tués sur 10 (68 %) l’ont été dans des zones de paix, alors qu’en 2016, seulement 4 journalistes sur 10 étaient tués hors des terrains en conflit.
Cette nouvelle tendance se révèle notamment par le nombre de journalistes sciemment visés et délibérément assassinés en raison de leur métier. En 2020, 84 % des journalistes tués ont été assassinés, contre 63 % en 2019. Le Mexique reste le pays le plus meurtrier au monde pour la profession avec huit morts, viennent ensuite l’Inde (4), le Pakistan (4), les Philippines (3) et le Honduras (3).
« Les assassinats visent notamment les journalistes qui travaillent sur des sujets sensibles. Cette année, 4 journalistes ont été tués alors qu’ils enquêtaient sur les agissements de la mafia. Par ailleurs, 10 journalistes ont été victimes d’homicide pour leurs investigations sur des cas de corruption locale ou de détournement d’argent public, 3 ont été tués alors qu’ils travaillaient sur des sujets liés à des questions environnementales (cas d’extraction minière illégale et d’accaparement des terres). » explique l’ONG dans son rapport
Certains meurtres ont été particulièrement barbares, parfois en guise d’avertissement aux autres membres de la profession. Le journaliste Julio Valdivia Rodriguez, du quotidien El Mundo de Veracruz, a ainsi été retrouvé décapité dans l’est du Mexique tandis que son confrère Víctor Fernando Alvarez Chavez, rédacteur en chef d’un site d’information locale, a été littéralement découpé en morceaux dans la ville d’Acapulco.

Près de 400 journalistes retenus prisonniers partout dans le monde
Si seulement deux femmes ont été assassinées en 2020, le nombre d’entre elles en détention est en hausse de 35% : elles sont 42 à être emprisonnées en cette fin d’année, contre 31 femmes il y a un an. Cette augmentation du nombre de prisonnières est principalement dû à la répression sans précédent qui s’est abattu sur le Belarus depuis l’élection présidentielle controversée du 9 août 2020 ; mais aussi à un gouvernement plus répressif en Iran (4) et en Chine (2) avec la crise sanitaire.
Parmi ces nouvelles détenues : la journaliste vietnamienne Pham Doan Trang, lauréate du Prix RSF de la liberté de la presse 2019, est accusée de « propagande contre l’Etat ».
« Près de 400 journalistes vont passer les fêtes derrière les barreaux, loin des leurs et dans des conditions de détention qui mettent parfois leur vie en danger. » dénonce le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire.
Au total, Reporters Sans Frontières a recensé 387 journalistes emprisonnés pour avoir exercé leur métier d’information, presque autant que les 389 de 2019, « un niveau historiquement haut » pour l’ONG. Plus de la moitié des journalistes détenus à travers le monde (61 %) le sont dans seulement cinq pays : la Chine, l’Egypte, l’Arabie saoudite, le Vietnam et la Syrie.
En 2020, la pandémie a renforcé la répression de certains gouvernements contre les journalistes. Le nombre d’arrestations et d’interpellations arbitraires ont été multiplié par 4 entre les mois de mars et mai 2020, au début de la propagation du coronavirus sur la planète.
« Entre début février et fin novembre 2020, ce type de violations représentait à lui seul 35 % des exactions recensées (devant les violences physiques ou les menaces, qui correspondent à 30 % des violations enregistrées). Si la plupart des journalistes interpellés ne le sont que pour quelques heures, voire quelques jours ou semaines, 14 journalistes, arrêtés dans le cadre de leur couverture de l’épidémie, se trouvent toujours sous les verrous à ce jour. » précise le rapport

France, le combat pour préserver la liberté de la presse
On peut le déplorer, les interpellations de journalistes en France dans le cadre de la crise sanitaire n’ont pas fait l’objet d’un encart particulier par l’ONG. Pourtant, Reporters Sans Frontières avait été accusé par plusieurs organes de presse et journalistes de terrain d’un manque de soutien incohérent face à la répression que subit de plus en plus la profession lors de sa couverture des mouvements sociaux en France.
Le conflit avait atteint son paroxysme lors des échanges entre le Collectif Stop Loi Sécurité Globale et le gouvernement, auprès duquel l’ONG RSF est accusée d’être trop complaisante. Suite à une rencontre avec l’exécutif, Christophe Deloire avait alors informé sur Twitter la volonté de Jean Castex de créer une commission indépendante pour statuer sur l’article 24 de la loi sécurité globale.
Christophe Deloire a aussi déclaré avoir abordé le sujet des violences policières contre les journalistes auprès du Premier ministre qui se serait « engagé à améliorer concrètement la situation » sans préciser comment exactement.
Des déclarations insuffisantes pour les membres de la profession qui demandent le retrait pur et simple des articles 21, 22 et 24 de la loi sécurité globale ainsi que du Schéma National du Maintien de l’Ordre.
La France avait été classée 34ème au Classement mondial de la liberté de la presse 2020 de RSF en raison du monopole des grands médias par des milliardaires, dépérissement de la presse indépendante, violences inédites contre les journalistes, intimidations judiciaires, et… de lois liberticides.
L’ONG va-t-elle hausser le ton contre le gouvernement français en 2021 ? Fin novembre, elle a porté plainte contre le préfet Didier Lallement suite aux violences policières commises sur des journalistes lors d’une opération d’évacuation de migrants place de la République à Paris ; et au début du mois, même démarche pour l’agression du photographe Ameer Al Halbi par un agent de police lors de la Marche des libertés.
Tout juste hier, l’ONG a également condamné la police pour avoir empêché les photojournalistes Louis Witter et Simon H. de couvrir une opération d’expulsion de réfugiés. Une entrave grave à la liberté de la presse qui devient monnaie courante avec les forces de l’ordre françaises, et qui risque de s’amplifier avec la loi sécurité globale.
De son côté, le Syndicat National des Journalistes « interpelle les pouvoirs publics sur ces atteintes, presque incessantes, à la liberté de la presse, et prie instamment les sénatrices et sénateurs, qui vont se pencher en 2021 sur la proposition de loi Sécurité globale, de refuser de voter tous les articles qui constituent des entraves à la liberté d’informer et d’être informé. »
Crédit photo : Arthur Nicholas Orchard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP