Pire que le réchauffement climatique, l’urbanisation ou les chats, l’agriculture industrielle est la principale responsable de la dramatique disparition des oiseaux en Europe. C’est ce que nous apprend l’étude la plus vaste et la plus complète à ce jour sur le sujet, publiée dans la revue scientifique PNAS. Des résultats qui nous invitent à transformer radicalement notre système de production alimentaire pour enrayer la catastrophe.
Il y a aujourd’hui 800 millions d’oiseaux en moins en Europe qu’il y a 40 ans. C’est ce que montrent les travaux, dirigés par deux scientifiques du CNRS et un doctorant de l’Université de Montpellier, publiés dans PNAS ce 15 mai 2023.
Cette étude a analysé le jeu de données le plus complet jamais réunies à ce jour : 37 ans de données de 20 000 sites de suivi écologique dans 28 pays européens, pour 170 espèces d’oiseaux différentes. L’objectif : quantifier et hiérarchiser pour la première fois les impacts des pressions liées à l’activité humaine sur les populations d’oiseaux.
Ces derniers souffrent souvent d’une combinaison de pressions, à savoir l’augmentation des températures, la disparition de leurs habitats à cause de l’artificialisation, et les gestions humaines des surfaces forestières et agricoles.
Cependant, les résultats de cette méta-analyse sont clairs : « l’effet néfaste dominant est celui de l’intensification de l’agriculture, c’est-à-dire de l’augmentation de la quantité d’engrais et de pesticides utilisée par hectares. Elle a entraîné le déclin de nombreuses populations d’oiseaux, et plus encore celle des oiseaux insectivores. En effet, engrais et pesticides peuvent perturber l’équilibre de toute la chaîne alimentaire d’un écosystème ».
Ainsi, alors que le nombre d’oiseaux forestiers a diminué de 18 %, ce chiffre monte à 28 % pour les oiseaux urbains et va jusqu’à 57 % pour les oiseaux des milieux agricoles. Les rares espèces d’oiseaux à subir moins de dégâts en Europe sont celles qui préfèrent la chaleur, comme les populations de fauvettes mélanocéphales ou de guêpiers.
Parmi les pays européens, la France fait figure de triste exemple. Elle est l’un des pays dont la surface agricole industrielle est la plus importante mais aussi parmi ceux dont cette surface a le plus augmenté récemment. Également, la France a en moyenne plus de sols artificialisés que ses homologues européens et une couverture forestière moins dense.
Résultat, le nombre d’oiseaux agricoles et forestiers a diminué de 43 % et 19 % respectivement en France. Certaines espèces ont vu leur population chuter de manière spectaculaire : -75 % environ pour le moineau friquet, le tarier des prés et le pipit farlouse, par exemple.
« Ces oiseaux aiment les petites haies de nos campagnes. Or elles disparaissent. Il y a moins de trous pour faire des nids, moins d’endroits pour se cacher, pour se reposer, etc. Et il n’y a plus d’insectes. Les conditions de vie sont dégradées, le milieu est devenu hostile. Nous faisons partie des pays qui sont incapables de maintenir la biodiversité dans leurs milieux agricoles » explique l’écologue et directeur de recherche au CNRS Vincent Devictor pour Libération
Le « Printemps Silencieux » annoncé par la biologiste Rachel Carson en 1962 arrive à grands pas. Or, les oiseaux ne contribuent pas seulement au bien-être par leur beauté et leurs chants mélodieux, ils jouent un rôle crucial au sein des écosystèmes en transportant les graines d’un endroit à l’autre.
Cette étude arrive en même temps que l’Atlas des Pesticides, créé par le bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll, la Fabrique Écologique, le collectif Nourrir et Générations Futures.
« Cet Atlas montre que nous ne sommes pas sur la bonne voie : la quantité de pesticides utilisés dans le monde a augmenté de 80 % depuis 1990, causant des dommages à la santé des agriculteurs, des consommateurs et à la biodiversité. Le marché mondial des pesticides a presque doublé au cours des 20 dernières années et atteint 53 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2020 » expliquent les bureaux à l’origine du projet
A l’inverse des recommandations d’Emmanuel Macron qui a récemment demandé une « pause dans la régulation environnementale européenne », la disparition alarmante des volatiles devrait nous enjoindre à faire précisément l’inverse. Le bio n’occupe que 8,5 % de la surface agricole en Europe et 10,3% en France.
Changer de modèle agricole n’a jamais été aussi urgent : diminuer drastiquement voire supprimer les utilisations de pesticides et d’engrais, replanter des haies partout, ramener de la matière organique dans les sols, subventionner les agriculteurs aux pratiques agroécologiques bénéfiques pour l’environnement, recréer des fermes à taille humaine, donner plus de place aux femmes.
Les solutions sont connues depuis longtemps, manque encore et toujours la volonté politique d’améliorer les choses.