Le projet de loi pour la moralisation de la vie publique était une proposition phare du programme d’Emmanuel Macron et une des conditions du ralliement de François Bayrou au candidat d’En Marche !. Lundi 22 mai, le député apparenté PS René Dosière, spécialiste de la question, a remis ses douze propositions au Garde des Sceaux.
Etat des lieux
« Le renouvellement auquel aspirent nos concitoyens est un renouvellement de la vie civique : il faut remettre du pluralisme et de la moralisation dans la vie publique. C’est le ciment de cette alliance » déclarait Emmanuel Macron lors de son meeting à Paris du 23 février 2017. Dans le contexte particulièrement troublé des élections, l’éthique publique s’est en effet placée comme un enjeu de premier ordre. Si le scandale Cahuzac de 2013 avait déjà mis le feu aux poudres, l’affaire Fillon a été l’explosion dont le souffle fait encore trembler les sièges de l’Assemblée. Les pratiques normalisées des députés ont été révélées au grand jour – qu’il s’agisse de soupçons d’emplois fictifs, de mauvais usage des deniers publics ou d’activités de conseil cachant des conflits d’intérêts – rajoutant à la méfiance généralisée des citoyens envers leurs élus.
Alors que François Fillon et Marine Le Pen étaient embourbés dans de telles affaires pendant la campagne, Emmanuel Macron avait quant à lui tout le loisir de fanfaronner sur les questions de l’exemplarité en politique, puisqu’il n’était pas inquiété par la justice (ni par les médias bien évidemment). François Bayrou, le « partenaire particulier » d’Emmanuel Macron, avait d’ailleurs fait du projet de loi sur la moralisation de la vie publique une condition nécessaire à son ralliement. Et ce sera bientôt chose faite. Le coup de pub est plutôt bien pensé : après les déchirements de cette élection qui a été ponctuée par l’éclatement de scandales concernant candidats et élus, choisir comme première grande loi du gouvernement Macron une mesure de remise en confiance du peuple est sans nul doute le meilleur moyen pour commencer à appliquer « le ciment de cette alliance ». Peut-être est-ce aussi un bon moyen pour nous faire oublier la seconde grande mesure du gouvernement Macron (prévue pour cet été) qui consistera en la refonte du Code du travail, qui sait…
En pleine période de consultation, le ministre de la Justice a reçu vendredi dernier un rapport du député de l’Aisne apparenté PS et spécialiste des finances publiques René Dosière. Il recevait également hier Transparency International et Anticor, deux ONG engagées en faveur d’une plus grande probité en politique. La proposition finale du projet de loi devrait être soumise au Conseil des ministres avant le premier tour des législatives qui a lieu le 11 juin, de quoi donner des bouffées de sueur à ces députés de longue date dont le siège avait fini par épouser parfaitement la courbure de leurs fesses (malgré une assiduité bien relative).
Les moralisateurs moralisés
Plus problématique encore, le tout nouveau ministre de la Cohésion des territoires, Richard Fernand, pourrait lui-même pâtir de cette loi instiguée par son propre gouvernement. D’après le Canard Enchaîné, celui-ci aurait eu « un petit arrangement légal » alors qu’il était directeur général des Mutuelles de Bretagne. En effet, on le soupçonne d’avoir retenu, parmi les trois offres proposées concernant la création d’un nouveau local pour un centre de soins, le projet de Sandrine Doucen, sa femme. Grâce aux subventions publiques, Sandrine Doucen aurait multiplié la valeur de sa SCI (Société civile immobilière) par 3 000, une aubaine !
Si pour l’instant, il semble être le seul à avoir des raisons de craindre l’arrivée de la loi de moralisation de la vie publique, d’autres histoires troublantes mériteraient d’être éclaircies. Le témoignage de Nicolas Grégoire, qui aurait eu « deux emplois fictifs à l’UDF pour François Bayrou », a connu de nombreuses aventures avant d’être finalement relégué au rang d’intox ne méritant pas d’être relayée par les médias. Même si rien n’a encore été prouvé, le récit de cet ancien rédacteur pour Force démocrate, l’ancien parti de François Bayrou, est édifiant. On y aperçoit d’abord les rouages d’un système ignoble, reposant sur des arrangements bien-entendus entre privilégiés, méprisant envers les employés et surtout envers les femmes. Puis on y découvre les rouages du second système, médiatique cette fois, qui semble agir comme le pantin d’un ordre qui le dépasse. Nicolas Grégoire résume son combat en ces termes : « En dénonçant Bayrou, je voulais changer la politique. Censuré, espionné, cambriolé, j’ai découvert que je ne pouvais pas gagner ». Si François Bayrou, qui se présente comme l’allégorie de l’intégrité politique et se veut l’instigateur de la loi sur la moralisation de la vie publique, venait à être effectivement concerné par les accusations de Nicolas Grégoire, je crois qu’il faudra choisir entre s’étouffer de rire et se noyer dans ses larmes.
« Rétablir une relation de confiance entre les élus et les citoyens »
Quoi qu’il en soit, les douze propositions remises par René Dosière au ministre de la Justice sont dans l’ensemble très encourageantes. Le député de l’Aisne « a déposé à l’Assemblée nationale trois propositions de loi (constitutionnelle, organique et ordinaire) de moralisation de la vie politique et une proposition de résolution tendant à modifier le règlement intérieur de l’Assemblée national », d’après le site du gouvernement vie-publique.fr. Parmi ces propositions on trouve notamment des mesures d’encadrement du financement public et privé des partis politiques. En effet, le nombre de partis a explosé ces dernières années (on en compte aujourd’hui plus de 400 soit 15 fois plus qu’il y a 20 ans. René Dosière propose donc une redéfinition des partis pour conditionner le financement public, il faudra donc « avoir un objet politique, rassembler des militants et soutenir des candidats aux élections locales et nationales » et présenter « 100 candidats ayant obtenu chacun 2,5% des suffrages exprimés ». Concernant le financement privé, la mesure préconise d’interdire aux partis d’octroyer un prêt à leurs candidats pour éviter des détournements de fonds et de renforcer les pouvoirs de contrôle de la Cour des comptes.
Par ailleurs, les propositions de René Dosière prévoient de mettre un sérieux coup aux avantages judiciaires et financiers des élus. Le texte de loi prévoit alors :
– « d’obliger tout candidat à avoir un casier judiciaire vierge pour les infractions les plus graves et de présenter un bordereau de leur situation fiscale ;
– de limiter le cumul des mandats dans le temps : à trois pour les parlementaires et à deux pour les élus à la tête d’une collectivité ;
– de plafonner le cumul des indemnités des élus à 5 600 euros, soit au montant de l’indemnité parlementaire, contre 8 400 euros aujourd’hui ;
– d’interdire aux parlementaires de continuer à exercer une activité de conseil débutée avant leur élection, sauf s’il s’agit d’une profession réglementée ;
– de supprimer la réserve parlementaire ;
– d’interdire aux parlementaires, aux cabinets et groupes politiques des collectivités locales tout recrutement familial ;
– d’interdire aux ministres de cumuler leurs fonctions avec tout mandat électoral ;
– de renforcer les pouvoirs du déontologue de l’Assemblée nationale. » (Source : vie-publique.fr)
Même les anciens présidents de la République ne sont pas épargnés, puisque la proposition prévoit de baisser les indemnités qui leur sont versées (à 75% du revenu du président en exercice).
Fiscaliser l’IRFM, une bonne idée ?
Si ces mesures semblent globalement bonnes et efficaces, des questions sont soulevées autour de la proposition qu’avait avancé le candidat d’En Marche ! quant à la fiscalisation de l’IRFM (indemnité représentative de frais de mandat). Celle-ci sert en principe à payer les frais qui ne sont pas remboursés par le Parlement et qui constituent des dépenses liées à la fonction (l’hébergement par exemple). Cette enveloppe, qui est très peu contrôlée et défiscalisée, a déjà (peut-être même bien souvent) été un moyen pour les élus de financer des voyages privés ou d’acheter des biens immobiliers. D’après la Commission pour la transparence financière de la vie politique, l’IRFM permettrait aux parlementaires ou sénateurs de s’enrichir d’un montant « oscillant entre 1 400 euros et 200 000 euros » (rapport de 2012). La proposition d’E. Macron pendant la campagne était alors d’intégrer l’IRFM à l’indemnité pour que celle-ci soit fiscalisée, de telle sorte que si un parlementaire utilise son enveloppe à des fins privées, il sera imposé sur ces dépenses.
Pourtant, pour Hervé Lebreton, président de l’association Pour une démocratie directe, « cela donnerait raison à tous ces parlementaires qui se sont enrichis avec l’argent public qui ne leur était pas destiné ». En effet, selon lui, il serait bien plus productif de proposer un remboursement des frais sur justification. Transparency International, l’ONG que François Bayrou recevait hier, est également de cet avis : « Nous demandons la transparence de l’IRFM, ce qui suppose une définition claire des dépenses qu’elle recoupe et un contrôle. Il ne faut pas qu’elle soit un complément de revenu. C’est la position que nous avons défendue, elle diffère de l’idée de fiscalisation. » a souligné Elsa Foucraut, chargée de plaidoyer chez Transparency International.
Si la loi qui sera bientôt soumise au Conseil des ministres est à la hauteur des exigences ou du moins, aussi complète que les propositions du député René Dosière, alors peut-être pourrons-nous lui reconnaître le statut de « ciment de [l’]Alliance ». Mais rien n’est joué, méfions-nous de ces adeptes de la « poudre de perlimpinpin »…

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